Ces "cousins germains" condamnés à une éternelle rivalité
Je reviendrai en détail sur ce sujet qui fait débat en ce moment: le rôle du journaliste en temps de guerre.
Le journaliste serait-il celui qui s'installerait sur une colline, prenant religieusement les photos d'une vallée en feu, sans songer à se mêler du malheureux sort du berger et ses troupeaux, parce que son rôle serait de simplement observer et de prendre des notes?
Le professionnel du métier qui répondrait oui à cette question serait un psychopathe. On devrait jeûner et prier pour son âme.
Kevin Carter (auteur de la photo dans ce poste—The Vulture and The Little Girl ) avait préféré abandonner la fillette soudanaise à l’appétit des vautours qui attendaient son trépas pour la dévorer.
Au nom d'une conception trop déshumanisée du journalisme, l’américain a quitté la scène, plus préoccupé par son deadline que ce qui devait advenir de la fillette.
Carter sera sacré lauréat du très convoité Prix Pulitzer. Mais il se suicidera à l'âge relativement jeune de 33 ans.
Le journaliste en temps de guerre; le journaliste en situation de catastrophe qui oppose son métier à l'urgence humanitaire conçoit mal son métier. Le journalisme n’est pas une fin en soi.
Ceci dit, la Communication et le Journalisme—quoique cousins germains—sont condamnés à une éternelle rivalité. La confluence entre les deux est plus que ténue.
Dans la bouche du professionnel, la Communication est un domaine de pratique qui consacre les relations publiques.
L'objectif de la Communication est de soigner une image; c'est de brouiller les pistes; c'est de susciter l’éloge plutôt que la reprobation.
Il y eut un temps où—pour parler de Communication—le terme employé était “propagande”. Là où nous avons aujourd'hui des Chargés de Communication, on avait hier des Chargés de Propagande.
C'est surtout à cause des Nazis (plus particulièrement à cause de Josef Goebbels, le chef propagandiste de Hitler), que le monde a perdu son appétit pour le mot propagande. Mais ce que ce mot désignait dans le passé n’a pas disparu aujourd'hui.
Maintenant, le Journalisme—quand la pratique n’a pas été dévoyée—prend le contrepied de la Communication. Le journaliste n’a pas vocation à soigner une image. La propagande est sa bête noire.
L’idéal pour le journaliste, c’est de dire la vérité; c’est de faire tomber les masques; c'est de “débrouiller” les pistes, dans l’intérêt supérieur de tous.
Quand—par ignorance ou par opportunisme—on confond “communication” avec petit “c” (le fait de transmettre un message) avec la Communication avec grand “C”, on avance des raisonnements qui sont logiques mais totalement faux: des raisonnements spécieux, la spécialité des sophistes d’autrefois.
Oui, le Journaliste et le Communicateur font de la transmission de messages. Chacun communique avec le public par le biais des canaux de communication—les médias. Mais un fossé ontologique assez profond sépare les deux.
Cette distinction relève des b.a.ba que l’étudiant en Journalisme et Communication assimile dès la première semaine de sa première année en faculté.
Si vous entendez quelqu’un vous raconter qu’il n’y a pas de différence entre Journalisme et Communication, sous prétexte que "l’on ne peut faire du journalisme sans communiquer", la personne ne sait pas ce dont elle parle.
A moins que la personne ne soit un sophiste—c’est-à-dire quelqu’un qui vous roule dans la farine.
Encore une fois, le communicateur veille sur les intérêts de quelqu’uns; tandis que le journaliste veille sur l’intérêt public.
Maintenant, en temps de guerre—quand la nation est menacée—il n’y a pas un plus grand intérêt public que de contribuer à sauver la nation.
Le journaliste (sans avoir à verser dans la basse propagande mensongère) assumera alors sa responsabilité sociale et veillera à ses choix éditoriaux pour ne rien dire ou omettre qui puisse compromettre les efforts de guerre.
Bref, le rôle du journaliste en temps de guerre n’est pas une redéfinition du journalisme; il s'accommode de la nécessité de survie qui s'impose à tous, à travers une revue des priorités.
On peut formuler la chose sous forme de question:
En temps de guerre, comment le journaliste, sans se transformer en VDP et monter au front, arme en bandoulière, pourrait montrer (au-delà des contradictions académiques) son utilité concrète pour la survie de la nation?
C’est au journaliste de répondre sans pression. Ses choix en revanche auront des conséquences qu'il devra pleinement assumer.