Décidément, Nul N'Est Prophète Chez Lui
Tandis que le jeune président burkinabé Ibrahim Traoré redonne de l'espoir ailleurs sur le continent, certains chez lui au pays ne souhaitent que son échec.
L’Afrique anglophone est tombée amoureuse du président burkinabé de transition, Ibrahim Traoré.
La tenue militaire, la rectitude de la posture, la défiance dans le regard… voilà qui fait rappeler aux nostalgiques un certain Thomas Sankara.
“Massive respect to you, President of Burkina Faso,” commente l’utilisateur @mayg7415 sur YouTube.
Et un autre d’enchaîner: “He touched me with his wonderful dignity, honesty and knowledge.”
D’autres sont emballés par sa maturité, sa franchise, sa passion, sa personnalité.
Mais @anthonyomojo6433 va plus loin pour soutenir carrément que “Thomas Sankara lives. Africa’s time has come.”
Par contraste à cet enthousiasme chez les anglophones, c’est au Burkina Faso, chez le capitaine Traoré, que celui-ci attire le plus d’animosité pour sa première sortie à l’internationale, à l’occasion de laquelle il a, sans coup férir, ravi la vedette à certains de ces dinosaures sur le déclin.
“Il est immature”, reproche-t-on au capitaine quelque part.
Apparemment, il aurait commis une grosse bourde diplomatique en annonçant sa solidarité avec la Russie qui a subi une flopée de sanctions économiques occidentales en conséquence de la guerre en Ukraine.
Apparemment, il lui fallait être hypocrite et jouer à un jeu trouble.
Remonté contre les tuteurs historiques du Burkina qui lui imposent un embargo des armes dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, il devait néanmoins leur déclamer un poème d’amour.
Immature?
Vous avez peut-être raison, vous qui le trouvez ainsi.
Mais à cette allure, personne ne sera jamais suffisamment mature au Burkina pour diriger ce pays-là.
Ceux qui sont apparemment “matures”—Blaise Compaoré et ses dauphins—ont été balayés par la furie de la rue, accusés par les révoltés d’être des vendus et de rouler pour la Françafrique.
Immature?
Face à la parodie de démocratie (ce nouvel opium de l’Afrique), les “immatures” qui affichent une volonté claire de rupture commettent donc des bourdes diplomatiques, crimes de lèse-majesté apparents aux yeux de ceux qui ont sanctifié la tutelle des imposteurs.
Assis tout droit face aux taches d’ombres dans leur caverne où la Françafrique est un horizon indépassable, ils attaquent les “immatures” pour leur insolence, pour leur désir d’essayer autre chose.
Mais que veulent-ils vraiment ces burkinabé qui redoutent tant la fin de cette tutelle, vieille de plus de 60 ans, qui n’a produit en définitive que la misère dont se fermente le terrorisme qui tient le pays dans ses serres?
Que veulent-ils? Faudra-t-il peut-être que l’on demande une mise sous tutelle onusienne du pays de Thomas Sankara?
Mais, je comprends pourquoi Thomas Sankara a été transporté au cimetière en petits morceaux ensanglantés, lâchement abattu par des Burkinabé qui en avaient marre de ses bourdes diplomatiques et de son immaturité.
Chers thuriféraires de la Françafrique, un nouvel ordre mondial se met en place. Tous ceux qui sont lucides en Occident, comme Dominique de Villepin, Jeffrey Sachs, le savent et s’y apprêtent.
Et dans le processus en marche, aucun peuple déterminé à s’arracher de l’indignité à petite dose ne se préoccupe des humeurs éventuelles de ceux qui l’ont maintenu pendant si longtemps sous la brutalité de leurs bottes.
Quand on est opposé à un ordre qui vous a immanquablement reproduit le sous-development dans un maintien de l’esprit de dépendance, on dit à haute voix ce qui ne va pas.
C’est ce courage de la franchise qui a fait entrer Thomas Sankara dans le panthéon des honnêtes gens d’Afrique et d’ailleurs.
Mais il me semble que pour être applaudi comme Sankara, il ne suffit pas d’avoir sa mentalité et d’essayer de mettre en œuvre son idéal—il faut mourrir d’abord.
Le burkinabé, des fois, peut être un formidable spécimen de contradictions.
Et c’est vraiment dommage de voir nos propres frères renouveler leurs vœux de désenchantement à Ibrahim Traoré.
Pour assouvir une pulsion de vengeance, on est aussi prêt à prier au bon Dieu pour que son frère que l’on déteste tant, et qui risque néanmoins sa vie au front de la lutte contre les terroristes, se casse le visage.
La colonisation française était vraiment très efficace: Tandis que les anglophones du continent saluent l’ambition de la jeunesse du Sahel à briser les chaînes de la tutelle, ce sont des francophones aplatis par cette tutelle qui combattent ceux qui la combattent.
This is seriously fucked up.
PS: Sorry for the bad language, there.