Faire la part des choses
L'Afrique doit assumer ses responsabilités internes tout en luttant contre les forces extérieures qui contribuent à son sous-développement.
Commençons par le réaffirmer: Le continent a un problème. Et dans ses grands contours, il est saisissable par tous.
Mais en évaluant de près le problème africain, il y a deux travers dans lesquels, il faut éviter de tomber:
1. Se dédouaner nous-mêmes de nos turpitudes manifestes (refus de l’Etat de droit, corruption, mal gouvernance, paresse, jalousie, nivellement par le bas);
2. Jouer à l’autruche face à la réalité impitoyable du système mondialiste, qui a substitué à la brutalité d’hier un système de lois et conventions iniques et contraignantes, et qui est souvent la tombe des rares dirigeants intègres et soucieux.
Il faut travailler à yeux ouverts sur les deux fronts, sans se servir de l’un pour masquer ou minimiser l’autre.
Pour paraphraser une note que j’ai aperçue quelque part, il est aussi dangereux de voir des complots extérieurs partout que de ne pas en voir du tout.
En tout cas, je ne prendrai personne au sérieux qui tenterait de faire porter exclusivement à l’Afrique le fardeau de ses tragédies.
Si l’Afrique n’avait pas de ressources dont le reste du monde a besoin pour se développer, tous les espions et les vendeurs d’armes qui quadrillent le continent du Cap au Caire et de Conakry à Calabar n’auraient rien à y foutre.
Mais il faut savoir faire la part des choses.
Ainsi, je refuse de croire que le Sénégal aujourd’hui (comme, hier, la Guinée de Condé, le Burkina de Compaoré, le Burundi de Nkurunziza) est victime d’un complot extérieur autre que celui d’un président qui refuse d’honorer son serment et celui d’un juge aux ordres—un juge absolument éhonté.
D’autre part, nul ne saura me convaincre que la mise à sac de la Libye n’était autre qu’un complot à visage découvert.
Nul ne pourrait me convaincre qu’il n’y a pas complot quand des pays souverains en butte au terrorisme (et qui décident de prendre leurs responsabilités) se retrouvent assujettis à des campagnes de propagande nauséabonde; assujettis à des embargos déguisés, alors qu’ils combattent un ennemi mystérieusement toujours bien armé et bien financé.
A) Concernant le premier point (la responsabilité endogène), on oublie quelquefois que l’Afrique fait des progrès:
Le temps des timoniers africains omnipotents et sanguinaires est révolu, grâce à une action progressive et interne à l’Afrique, et grâce à des armées qui ne sont plus prêtes à massacrer la masse pour que vive un tyran.
Celle de la page des élus éphémères et fainéants est entrain de se tourner.
L’insolence de la nouvelle génération ne permet plus d’être corrompu et de dormir peinard et à poings fermés au palais.
Voyez ce qui se passe au Sénégal, où les jours de Macky Sall sont inexorablement comptés! C’est cela refuser l’esprit victimaire. Et il y a là une raison d’espérer.
B) Maintenant, c’est au deuxième point que se trouve le plus grand défi; c’est ici que le complot réel (pas celui des fantasmes) fricote avec le meurtre et les massacres.
Loin d’appartenir au passé, l’ordre mondial issu de la colonisation et de l’après-deuxième-guerre mondial est une instance du présent; une machine efficace pour la perpétuation de la misère chez les misérables.
Il ne faut pas être naïf. Les conquêtes du passé répondaient à une forme de mondialisation, afin que les royaumes européens qui n’avaient pas d’or puissent s’en procurer quelque part.
Aujourd’hui, la mondialisation—avec à son cœur le système de Bretton Woods et les instruments du commerce mondial—consacre la même volonté de procurer à vil prix les ressources pour assurer le développement là où on se développe.
Et c’est un système qui veille impitoyablement à sa propre pérennité. Et il n’a pas hésité à broyer ceux qui ont essayé d’y faire obstacle, au nom des intérêts de leurs propres peuples.
Je veux dire qu’une lecture de ce qu’il conviendrait d’appeler le “problème africain” serait incomplète (et de façon inacceptable) si elle est centrée seulement sur les transgressions endogènes, souvent entretenues par ceux qui profitent du désordre de l’extérieur.
Ainsi, l’Afrique doit reconnaître ses fautes propres et assumer ses responsabilités là où il le faut.
Mais l’Afrique devrait prendre pour farfelu tout prétendu penseur qui la charge exclusivement du fardeau de sa tragédie.
Une génération passée d’africains a libéré le continent de la servitude corporelle d’hier. Mais il reste des chainons plus ou moins invisibles.
Et ce sera une erreur monumentale de décourager la nouvelle génération, par rapport à ce qui devrait être sa mission: briser ces chaînons.
Courage donc à tous ceux qui, à travers le monde, se trouvent engagés dans un élan de révolte légitime; la révolte devant l’injustice qui est un élan d’humanisme.
Et sachons que #Dieu n’enverra jamais une armée d’archanges pour régler le compte des corrompus et des prédateurs, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur.
Dieu châtie l’injuste et le prédateur de la main du juste qui aura refusé et qui aura ensuite clairement dit non.
Mais attention à ne jamais se transformer en monstre dans l’élan du combat contre tout monstre: la fin ne doit jamais justifier les moyens.
Oui, le but doit être de faire triompher la justice et la dignité pour tous, et non la vengeance qui est une vaine entreprise émotionnelle.