Interdire la laïcité et imposer l'animisme comme religion d'Etat, une terrible recette
L’hygiène n’empêche pas que l’on tombe malade de temps à autre. Pour autant, l’on ne remettrait pas en question l’utilité de l’hygiène parce que l’on était récemment perclus de paludisme ou de choléra.
Et il y va de l’hygiène comme de la laïcité: On ne se débarrassera pas de la laïcité en évoquant le terrorisme alimenté par l’intégrisme religieux qui n’est en fait qu’une expression du rejet de la laïcité.
En d’autres termes, le fondamentalisme n’est pas une conséquence de la laïcité—c’est une peste qui sévit en dépit de la laïcité.
Que faut-il donc dire quand quelqu’uns se mettent à penser que ce serait un projet génial d’interdire la laïcité pour ériger en lieu et place l’animisme comme religion d’Etat?
Eh bien, la question pourrait vous paraitre farfelue parce que son sujet—l’éventualité même de l’interdiction de la laïcité—est au prime abord farfelu. Pourtant, c’est bel et bien une option défendue par des individus qui se veulent tout à fait lucides.
Et voici ce qu’il m’a été donné de lire récemment concernant le Burkina, et c’est signé d’un ancien chroniqueur de Radio France Internationale:
“Si la décision [d’interdire la laïcité] est adoptée à la majorité par référendum, ça ne me pose aucun problème. On interdit la laïcité, et on impose l'animisme comme religion d'Etat.”
Mais pourquoi l’Animisme comme éventuelle religion d’Etat? Pourquoi pas le Christianisme ou l’Islam?
Réponse de notre chroniqueur: “Les Animistes sont chez eux. Ce sont les autres qui sont allés chercher la religion des Arabes et la religion des Européens.
“On sait même quand et comment ils sont allés chercher ces religions. Chacun doit être maître dans sa maison. C'est ça la justice.”
Jean-Marie Lepen—ou Éric Zemmour—n’aurait rien à redire ici, quitte à simplement remplacer, pour ce qui les concerne, l’Animisme par le Christianisme.
Je veux dire que le nationalisme borné est tant déplorable sur les rives de la Seine que sur les berges du Barrage de Tanghin.
Sans doute, avec des propositions comme celle-là, le Faso est profondément mal barré. Pourquoi?
L’idée même de religion d’État est une aberration: L’Etat africain dans sa forme actuelle—rassemblant des ethnies, des langues et cultures diverses sous une même entité politique—n’existait pas avant l’arrivée de l’Européen, et accessoirement l’Arabe.
Avant les grandes conquêtes, l’on avait des royaumes et des groupes ethniques rivaux qui se livraient en permanence des guerres à basse densité.
Le colonisateur, en se déportant sur les côtes africaines, se fit brutal; mais sa tâche aurait été plus compliquée, n’eût été les divisions internes qui étaient antérieures à son arrivée. Oui, entre groupes ethniques et roitelets africains, l’on se faisait impitoyable.
L’étranger—plus violent, mieux organisé et techniquement plus fort—était venu s’imposer et placer sous sa botte ces groupes épars qui, naguère, se regardaient en chiens de faïences. Et c’est de cette épisode effrontée qu’est né l’Etat moderne africain.
À cet Etat africain ainsi créé aux forceps; à cet État qui n’existait nullement avant les conquêtes; à cet État, imposer une religion dite animiste est un exercice artificiel qui relève tout autant de l’arbitraire.
Certainement, c’est une option qui n’est soutenable que sur la base d’une analyse sommaire et myope.
Quelle harmonie voulez-vous dans un État qui dirait à certains de ses citoyens que leur foi est de second degré et que s’ils n’en seraient pas contents, qu’ils n’auraient alors qu’à migrer chez l’Arabe ou l’Européen?
Ces citoyens de seconde zone vont-ils croiser les bras et se contenter de dire, “Okay, comme vous voulez?”
Non, les peuples qui prospèrent sont ceux qui ne cherchent pas futilement à régler des comptes impossibles à l’Histoire; ce sont ceux qui savent bâtir à partir du présent, sans exclure et sans établir d’hiérarchie arbitraire entre les uns et les autres.
En tout état de cause, la notion de religion d’Etat est une absurdité: la foi, c’est entre l’individu et son Dieu. Et la religion est juste un mode d’expression de la foi.
L’Etat n’étant pas un individu, l’Etat ne puisse donc avoir de religion, à moins que l’agenda soit d’imposer de façon machiavélique la religion de quelques individus, dont la secrète motivation est leur avidité du pouvoir, leur désir de contrôle.
Si des idées comme celle-là prospéraient au Burkina, au Sahel, en Afrique, l’on peut oublier à jamais tout rêve de paix durable.
Interrogez l’histoire de ces peuples—notamment en Europe—qui avaient jadis imposé des religions d’Etat au nom desquelles l’Inquisition, la roue, l’autodafé, et le bûcher étaient bien à la mode!
Interrogez l’histoire de ces peuples, et vous vous rendrez compte que faire la guerre à la laïcité est un voyage-retour à l’époque médiévale, à l’époque des “guerres saintes” officiellement menées au nom même de l’Etat.
Avec un tel voyage à reculons, l’on ferait passer l’intégrisme de son statut de phénomène marginal à celui d’idéologie centrale homologuée par l’appareil étatique.
Et ce serait un truc de dingue, un truc violent, un truc qui ferait couler des ruisseaux de sang. Cela devrait être indésirable!