Pourquoi l'Afrique se Méfie-t-elle de Starlink du Techno-Entrepreneur Elon Musk?
La technologie d'internet haut débit par satellite promet de combler le fossé numérique en Afrique, mais une série de préoccupations laisse la majeure partie du continent réticente et sur ses gardes.
Au téléphone, le président de l’Autorité de Régulation de la poste et des télécommunications du Congo, Christian Katenge, semble pressé et peu enclin à s'étaler. Son ton direct et pragmatique se reflétera dans ses réponses concises à nos questions.
Et sur ce ton de détachement, Katenge nous déclare : “[S'ils viennent, nous allons] les écouter, connaître leurs projets, actuels et futurs et les légaliser ; tant qu’ils sont encadrés par notre réglementation, [concernant] les équipements homologués, les revendeurs autorisés, les titres correspondants.”
Katenge serait-il un maniaque du contrôle ? Eh bien, à cette question, le responsable congolais n’y va pas par l’esquive.
Oui, il s'agit de contrôle. “Il faut du contrôle pour éviter de l’exploitation sauvage ou clandestine,” dit-t-il, ajoutant qu'il s'agit aussi d'une question de respect envers tout un pays, la République démocratique du Congo.
Du Cap à Casablanca, les fortunes de Starlink dans sa tentative de conquérir le marché africain ont été plutôt diverses—difficiles à réduire à un seul facteur commun.
Cependant, comme nous le verrons, les obstacles réglementaires auxquels l'entreprise fait face en RDC illustrent bien une tendance générale. Mais d'abord, qu'est-ce exactement que Starlink ?
Orbite Basse

Au cœur de Starlink se trouve un réseau de satellites tissé à travers le ciel nocturne, survolant l'atmosphère de notre planète, cartographiant méticuleusement sa courbure, ne laissant aucun point de la boussole sans couverture.
La mise en orbite de ce vaste réseau n’a représenté qu’un défi supplémentaire pour Elon Musk.
Disposant de sa propre entreprise spatiale, SpaceX, et de son lanceur de fusée réutilisable Falcon 9, l'entrepreneur nourrit un esprit déjà accaparé par des projets aussi ambitieux que la terraformation éventuelle de Mars. Starlink n’est donc qu’un projet accessoire pour Elon Musk.
Cependant, ce qui n'aurait été qu'une modeste source de dopamine pour le techno-entrepreneur pourrait avoir un impact considérable à l'échelle mondiale. Comment ?
Eh bien, Starlink arrive avec la promesse révolutionnaire de réinventer l'internet haut débit.
Sa constellation artificielle de satellites, véritable toile d'araignée technologique, enveloppe la Terre dans un maillage serré de connexions potentielles, promettant de réduire la fracture numérique et d'ouvrir de nouvelles perspectives pour les communautés isolées.
De façon pratique les satellites, placés en orbite basse, émettent des signaux micro-ondes qui sont captés par des antennes au sol, offrant ainsi un accès internet haut débit destiné à tout usage.
Même si son pays demeure circonspect quant à l'adoption de Starlink, le congolais Christian Katenge reconnaît sans ambages le caractère révolutionnaire de la technologie.
« Ce sera utile car cela fournira Internet dans des zones non couvertes par les réseaux GSM, avec tous les avantages que cela apporte pour la communication dans les zones rurales », admet-il.

Mais il existe plusieurs raisons de s'interroger sur l'entreprise d’Elon Musk. Comme l'a averti un ancien physicien de la NASA, le système Starlink pose un risque pour la vie sur Terre, avec son potentiel de mettre en péril le champ magnétique de la planète—le bouclier même qui nous protège des radiations solaires mortelles.
Et il ne s’agit pas simplement de techno-scepticisme ; la question des débris spatiaux est depuis longtemps une préoccupation, et la nécessité de nettoyer l'orbite terrestre basse—se trouvant donc juste au-dessus de l'atmosphère—est un sujet pressant dans les cercles scientifiques.
Mais la pollution de l'orbite terrestre basse n'est pas la raison pour laquelle Starlink fait sourciller sur le continent.
“Vous êtes devenu si prospère et vous investissez dans divers pays ; je veux que vous reveniez chez vous et que vous investissiez ici.”
—Cyril Ramaphosa, Conversation avec Elon Musk

Étrange Paradoxe
Elon Musk n'est pas du genre à s'attarder sur ses origines. Certains Africains qui soulignent en ligne les origines sud-africaines de l'homme le plus riche du monde ont parfois été la cible de trolls virulents, qui les exhortent, sans aucune forme de procès, à se débrouiller seuls plutôt que de chercher à attirer l'attention de Musk.
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa ne quémandait certainement pas des miettes lorsqu'il a récemment décroché son téléphone pour parler à Musk.
“Vous êtes devenu si prospère et vous investissez dans divers pays ; je veux que vous reveniez chez vous et que vous investissiez ici,” aurait dit Ramaphosa à Musk, ajoutant qu’ils auraient d’autres discussions.
S’agissait-il là d'un président flattant un milliardaire ? Pas du tout ; Ramaphosa cherchait à résoudre un paradoxe plutôt étrange. Comment ?
Starlink est désormais opérationnel dans presque tous les pays avoisinant l’Afrique du Sud natale de Musk; des pays comme la Zambie, l'Eswatini et le Malawi.
Le Zimbabwe—après un discours initial ferme mettant en garde contre toute opération illégale sur son territoire—est devenu le 14e pays africain à accueillir l'entreprise. Cependant, les conditions actuelles en Afrique du Sud tiennent Starlink à distance.
Bien sûr, il y a les exigences réglementaires habituelles, mais selon la législation sud-africaine, Starlink doit démontrer qu’au moins 30 % de ses parts locales sont détenues par des citoyens noirs.
Cela reflète le désir des autorités de remédier aux inégalités historiques découlant de l'héritage de l'apartheid.
Elon Musk, cependant, est un champion autoproclamé du mérite et s'est publiquement opposé aux initiatives de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI) et aux programmes dits de discrimination positive aux Etats-Unis.
Pour que Starlink puisse opérer en Afrique du Sud, il faudra soit un arrangement commercial extraordinaire, soit un compromis de la part de Musk.
Mais si l’on en croit le président Ramaphosa, des discussions sont en cours pour que le fils du pays revienne investir chez lui.
Ailleurs sur le continent, où le contexte historique est différent, les obstacles rencontrés par Starlink sont d'une nature différente.
Sureté Nationale

Quelles sont donc les véritables préoccupations de l’Autorité de régulation de la RDC concernant Starlink ?
“On ne saisit pas clairement lesdites préoccupations,” nous déclare Maitre John Aluku, avocat de la ligue des consommateurs de la RDC. “Car, il faudra simplement pour Starlink de se constituer en société commerciale congolaise et d’obtenir la licence des services des télécommunications par satellite pour opérer en RDC.”
L’avocat ne cache pas son agacement face à ce qu'il considère comme une prudence excessive des autorités.
“Le régulateur est chargé de mettre en œuvre des mesures efficaces pour le développement des télécommunications en RDC ; il ne devrait pas entraver son propre objectif.”
Pour Aluku, l'internet est essentiel à la société de l'information, et ouvrir la porte à Starlink résoudrait de nombreux problèmes.
Le manque d’infrastructures de télécommunications de base a freiné la transition numérique en RDC, raconte-t-il. Starlink pourrait remédier à cette situation en améliorant considérablement la connectivité, notamment dans les zones rurales et reculées.
Ainsi, John Aluku est prêt à plaider vigoureusement en faveur de la nécessité de Starlink pour le pays, mais Christian Katenge—toujours pragmatique—insiste sur son unique argument : sans titre, on n'est pas autorisé à exploiter un service de télécommunications en RDC. Et c’est un euphémisme.
La RDC est un pays riche en ressources naturelles, notamment en minéraux précieux comme le cobalt, qui sont très prisés par l'industrie technologique mondiale, notamment la Silicon Valley.
Cependant, en raison de sa richesse, le pays a, à peine, connu la paix depuis son indépendance en 1960.
Une épine dans le pied des responsables congolais est la perpétuelle réincarnation de la rébellion du M23, qui serait soutenue par des pays étrangers. Oui, la RDC est en guerre.
Dans ces circonstances, les responsables ont des raisons d'être stricts dans l'exercice du contrôle sur tout service de télécommunications à l'intérieur du territoire.
Bien sûr, c'est pratique pour la cyber-censure lorsque les rues sont en effervescence. Mais la préoccupation majeure est ailleurs.
Sans un contrôle strict, permettre à une entité étrangère comme Starlink d'opérer pourrait poser des risques de sécurité, tels que l'espionnage ou les cyberattaques.
Les nouvelles des récentes émeutes anti-immigration au Royaume-Uni et le rôle présumé dans ces émeutes de la plateforme X du même Elon Musk ajoutent aux motifs de réticence à Kinshasa.
Appelez-les maniaques du contrôle si vous voulez, mais la RDC est un pays traumatisé, beaucoup plus vulnérable aux abus technologiques que le Royaume-Uni, par exemple.
Il serait simpliste donc de rejeter la circonspection de Kinshasa comme étant uniquement motivée par un désir de contrôler l'information et de réprimer la liberté d'expression.
Défi Continental
De l'autre côté du continent en Afrique de l'Ouest, où l'insécurité au Sahel est un casse-tête régional, des préoccupations similaires de sécurité nationale freinent le déploiement de Starlink.
Le service satellitaire est bloqué pour approbation au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Sénégal et au Mali.
Les autorités de ces pays craignent que les organisations terroristes n’exploitent cette technologie pour mieux coordonner leurs attaques.
Mais si la sécurité est un enjeu majeur, d'autres facteurs, tels que les enjeux économiques, politiques ou culturels, peuvent également influencer les décisions des gouvernements.
Tout simplement, certains États pourraient chercher à protéger les intérêts des opérateurs de télécommunications nationaux.
En tout cas, par contraste à la RDC, Starlink est opérationnel au Rwanda voisin depuis février 2023. Et également au Burundi, un décret présidentiel signé en mai 2024 accorde une licence à l'entreprise.
Voilà une disparité qui souligne la complexité des enjeux et l’absence d'une approche uniforme à travers tout le continent.
N’y aurait-il pas là de quoi faire songer ironiquement à Elon Musk que le déploiement d'un réseau internet haut débit à l’échelle mondiale est un défi bien plus complexe que la conquête spatiale ?

Note: Cet article, rédigé en collaboration avec Venuste Nshimiyimana, a été initialement publié en Anglais dans The African Gazette.