Tunisie, au-delà de la berlue raciste du président Saied
C’est vrai—le recours au racisme, au tribalisme, à l’ethnicisme et au fascisme est un écran de fumée pour les démagogues incompétents, souvent désavoués par l’expérience du pouvoir.
Oui, Kaïs Saied est aujourd’hui une caricature du constitutionaliste qui a prêté serment en Tunisie il y a quelques années, promettant justice et emplois à une jeunesse désœuvrée et désabusée des promesses du Printemps Arabe, dont la Tunisie a été le berceau.
Notons ensuite que la Tunisie n’est pas ce pays de rêve pour un jeune sub-saharien qui fuit son pays potentiellement encore plus riche.
Au-delà donc de l’indignation, le plus important serait de se poser la difficile question de savoir pourquoi et comment un berbère de Tunisie peut en venir à se sentir supérieur à l’humain resté le plus proche de l’ancêtre commun de l’Humanité.
Le vrai problème
Je peux vous garantir que ce n’est pas la couleur de peau du sub-saharien qui pose vraiment problème: Voyez comment les noirs américains sont adulés quand ils font un détour par le Maghreb.
Le mépris pour le sub-saharien découle de la perception stigmatisante que l’on se fait de tout homme obligé de se jeter sur les routes de l’exil, fuyant la précarité.
L’image de la silhouette traquée par la pauvreté; la pauvreté qui place l’homme en situation de défier ses propres principes parfois juste pour survivre: voilà qui inspirera, tout au plus, une pitié—jamais du respect.
L’association hâtive d’un tel mépris avec la couleur de peau est vite faite pour des raisons viles, mais le fait est que personne n’aspire à ressembler à ce qui est précaire.
Au grand dam de ceux qui expliquent tout par le racisme, j’ai souvent évoqué les épisodes violents en Afrique du Sud, où régulièrement des noirs—que toute l’Afrique avait tenus en solidarité pendant l’Apartheid—organisent fréquemment le lynchage massif d’autres noirs: des Zimbabwéens, des Somaliens, des Nigérians, des Congolais.
Mon cœur me fend toujours quand je me remémore les voix de désespoir de certains de ces suppliciés que j’interviewais malheureusement trop souvent pour les journaux de BBC Afrique.
Le plus important
Indignons-nous du racisme de Kaïs Saied. Mais gardons en tête que l’indignation est facile—elle est à vile prix.
L’important, c’est de trouver et appliquer la formule pour qu’un berbère de Tunisie, à l’aspect de son frère venu du Sud, veuille devenir noir; c’est-à-dire trouver et appliquer la formule qui impose l’admiration et non la pitié.
Bien sûr, l’admiration ne s’imposera pas par la colère et par le fait de se convaincre encore et encore que—comme par déterminisme—l’on est une éternelle victime de l’histoire.
Non, je veux dire qu’il faudra réaliser les potentiels économiques de nos pays—ces scandales géologiques, disposant de tout pour impulser, sans triche, des croissances économiques en temps réel et à double chiffre.
Pour paraphraser Sankara, il faut faire en sorte que chacun—à la sueur de son front et au prix de son imagination—puisse gagner sa vie, sans avoir à affronter l’ignominie de l’exil pour pouvoir enfin espérer.
Sinon, on risque fort de voler d’une indignation à l’autre. Puisque chaque jour, avec le soleil qui se lève, un raciste sort de son lit et l’on ne saurait compter sur lui pour qu’il valide notre désir d’espoir et de dignité.
Comme un collègue aimait à me le répéter dans les corridors de BBC Bush House, nous ne pouvons laisser la gestion de nos rêves entre les mains aléatoires du raciste.
Voilà pour le sérieux.
Maintenant, pour la petite histoire, le fameux fessier bantou n’était pas un atout dans l’Amérique des formidables racistes. Et puis Beyonce, et ensuite Niki Minaj, montèrent sur scène. Elles n’ont jamais plaidé pour que quelque censeur de beauté leur valide ce fessier-là.
Aujourd’hui, faites un tour sur TikTok et constatez ce que l’on y tient en vénération—le fessier bantou, bien entendu. La morale de l’anecdote: notre Négritude ne dérange vraiment que quand elle est précarité. Sinon, même le raciste se met à en rêver.